Résumé
En Nouvelle-Calédonie, le Sénat coutumier et les grands chefs se disputent une place à la table des négociations pour l’avenir institutionnel du territoire. L’enjeu est de savoir qui est légitime pour porter la parole traditionnelle kanak auprès de l’État. Le Sénat coutumier est obligatoirement consulté par le gouvernement pour tout texte de loi touchant à l’identité kanak, tandis que l’association Inaat ne Kanaky, ou Conseil des grands chefs, estime avoir une légitimité de fait pour représenter la coutume et l’identité kanak lors des discussions. Les deux camps s’affrontent depuis plusieurs mois, mais ont négocié une unité de façade pour accueillir le président de la République lors de sa visite. Les représentants coutumiers cherchent à peser sur la place qui leur sera accordée dans les négociations sur le futur statut du territoire.
Contribution originale
En Nouvelle-Calédonie, le monde coutumier, déchiré, cherche sa place face à l’Etat Le Sénat coutumier et les grands chefs se disputent pour obtenir une place à la table des négociations pour l’avenir institutionnel du Caillou.
En Nouvelle-Calédonie, qui des grands chefs ou du Sénat coutumier est légitime pour porter la parole traditionnelle kanak auprès de l’Etat ? La question suscite un vif débat. Lors du déplacement prévu du président de la République, mardi 25 juillet, au Sénat coutumier de la Nouvelle-Calédonie, il sera accueilli par des grands chefs venus de tout le territoire aux côtés des représentants de l’institution. Une unité de façade négociée à la dernière minute entre deux camps qui s’affrontent depuis maintenant plusieurs mois, quitte à jeter un peu plus le discrédit sur les représentants coutumiers, dont le rôle, souvent mal compris notamment par les populations non kanak, fait l’objet de critiques récurrentes. L’enjeu de cette bataille de légitimité : obtenir une place à la table des négociations sur le futur statut du territoire et donc peser sur la place qui y sera accordée au monde coutumier.
D’un côté, le Sénat coutumier et ses 16 membres, qui peut adopter des délibérations publiées au Journal officiel et est obligatoirement consulté par le gouvernement pour tout texte de loi touchant à l’identité kanak (droit civil coutumier, succession, etc.). De l’autre, une association à l’ascension fulgurante, Inaat ne Kanaky, ou Conseil des grands chefs, née en septembre 2022 et présidée par le chef coutumier du district de La Roche, sur l’île de Maré, Hippolyte Sinewami-Htamumu. Elle regroupe une partie des hauts dignitaires kanak ou leurs représentants, avec le but affiché de « représenter la coutume et l’identité kanak lors des discussions », selon son président. En avril, l’association a fait un déplacement remarqué à Paris, avec pour point d’orgue une rencontre avec le ministre de l’intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, qui chapeaute les négociations sur le futur statut. Au nez et à la barbe du Sénat coutumier et des aires, qui organisaient au même moment une tournée dans tout le territoire pour présenter leur propre projet d’avenir institutionnel, en préparation depuis de longs mois.
Maigre bilan du Sénat Car si Inaat est une simple association, elle estime avoir une légitimité de fait, quitte à s’immiscer dans les affaires internes du Sénat coutumier. En février, l’association était ainsi intervenue pour réclamer le maintien à son poste du président du Sénat coutumier d’alors, Hugues Vhemavhe, destitué après une condamnation pour conduite en état d’ivresse. Une polémique étalée sur la place publique qui avait porté un coup sérieux à la crédibilité du Sénat coutumier. « Le Sénat a touché le fond, un fond abyssal », lançait alors, visiblement exaspéré, Yvon Kona, le porte-parole de l’institution.
Depuis, le Sénat coutumier a informé l’association lnaat ne Kanaky qu’il ne la reconnaissait pas et qu’il estimait être le seul interlocuteur légitime pour discuter avec l’Etat. De leur côté, les grands chefs dénoncent un Sénat « instrumentalisé par les partis politiques ».
Sur le fond, le monde coutumier partage pourtant le même constat : le bilan des vingt-cinq ans d’existence du Sénat n’est pas totalement satisfaisant. « Les institutions coutumières sont sans réelles compétences », constatent les sénateurs eux-mêmes. Consultative, l’institution s’est auto-saisie à plusieurs reprises de sujets de société : un plan Marshall pour la jeunesse a ainsi été élaboré, mais dont aucune mesure n’a été adoptée par les autorités compétentes.
Sur la forme, la clé se trouve peut-être dans le mode de désignation des représentants coutumiers. L’accord de Nouméa prévoyait que les premiers sénateurs soient désignés par les « us et coutumes », laissant par la suite au Sénat coutumier la possibilité d’opter pour l’élection. Une option qui n’avait alors pas été retenue par les intéressés mais qui fait aujourd’hui son chemin face à la contestation, de même qu’une autre mesure, destinée elle aussi à moderniser et asseoir la légitimité coutumière : la désignation de représentants des femmes et de la jeunesse.
Merci à A Tiouka