Retour sur le Document pour l’évolution Statutaire – PREAMBULE APDO Mai 2023

Préambule de l’Avant-Projet du Document d’Orientation (APDO présenté au Congrès des Elus de Guyane le 13 mai 2023.

Cartographie du préambule APDO Mai 2023

Le préambule aborde l’histoire de la colonisation de la Guyane française, depuis l’arrivée des premiers habitants amérindiens jusqu’à la décision du congrès des élus en 2022 d’explorer une nouvelle voie avec un statut d’autonomie. Le texte souligne les défis structurels auxquels la Guyane doit faire face, notamment la pauvreté, le désenclavement des communes de l’intérieur et la reconnaissance de l’histoire des peuples autochtones. Le document propose également des valeurs et des principes pour l’avenir institutionnel de la Guyane, tels que la solidarité, l’égalité, la dignité et l’altérité.

PREAMBULE – Texte original APDO

Il y a de cela 5000 ans, les premiers habitants de la Guyane, à l’origine des civilisations amérindiennes, sont arrivés d’Asie orientale après avoir franchi le détroit de Behring.

Lorsqu’au cours de la seconde moitié du 17ème siècle, le royaume de France réussit à prendre définitivement possession de la Guyane, il s’approprie un vaste territoire habité par une population autochtone, désignée aujourd’hui sous le terme d’Amérindiens. Elle est alors estimée à environ 30 000 individus.

Cependant, la doctrine de la « terra nullius » développée par les juristes européens, justifie la colonisation par les Français qui dépossèdent la population autochtone de leurs terres et la repoussent dans l’intérieur. Mais les colons français installés dans la colonie de la Guyane sont peu nombreux et échouent à constituer les plantations qui ont fait la fortune des Antilles françaises dont la grande colonie de Saint-Domingue. Vue de Paris, la colonie de la Guyane végète faute d’un nombre suffisant d’esclaves africains sur les habitations. Elle est confrontée, par ailleurs, aux conséquences des guerres qui ont opposé à la fin du 18ème siècle, les esclaves révoltés du Surinam aux Provinces Unies ; Ainsi les Ndjuka contrôlent la haute vallée du Maroni, tandis que les Boni se sont repliés sur les rives françaises du Maroni.

A Paris on envisage alors l’abandon du concept de colonie esclavagiste, au profit d’une colonie peuplée essentiellement d’européens. Au cours de la seconde moitié du 18ème siècle, l’expédition de Kourou qui conduit en Guyane quelque 12000 hommes, femmes et enfants, ainsi que les déportations d’hommes politiques à Sinnamary et de prêtres réfractaires à Counamama débouchent sur de meurtriers échecs.

La politique de peuplement de la Guyane s’oriente, dès lors, vers l’introduction d’une main-d’œuvre servile d’origine africaine. L’abolition de l’esclavage par le décret du 27 avril 1848 s’accompagne de la désertion des habitations par les nouveaux libres (13 100 en 1848). L’insuffisance de main d’œuvre nécessite alors le recours à une immigration organisée : au cours de la seconde moitié du 19ème siècle et de la première moitié du 20ème, des milliers d’engagés venus d’Afrique subsaharienne, de Madère, de l’Inde et de la Chine travaillent sur les habitations de la colonie, tandis que des orpailleurs venus des Antilles britanniques et françaises, du Brésil et du Surinam gagnent l’intérieur du territoire à la recherche de l’or. La création et l’expansion du bagne de la Guyane participent aux tentatives de peuplement -développement avec ses déportés, ses transportés et ses relégués. Au total, de 1850 à 1938, la population pénale dirigée vers la Guyane a compté 68 000 personnes.

La colonisation de la Guyane apparait ainsi comme une tragédie nourrie par l’échec récurrent des stratégies de mise en valeur du territoire. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, et à l’aube de l’application de la loi du 19 mars 1946, la Guyane ne compte que 28 506 habitants sur un vaste territoire de 84 000 km2. Cette donnée chiffrée signe dans l’esprit des guyanais la détresse économique et économique du pays.

Ce contexte a largement pesé à partir des années 1870 dans la revendication de la départementalisation de la colonie de la Guyane ; il s’agit d’une aspiration fondamentale formulée en leur qualité de citoyens français que sont les Afro-descendants depuis 1848. Leurs représentants élus portaient alors un projet de société qui visait le peuplement du pays, la diversification de la production et l’élévation du niveau de vie des habitants sur le littoral comme dans l’intérieur, à l’image de la situation économique et sociale des départements du territoire métropolitain. Mais 77 ans plus tard, la Guyane est toujours le département d’outre-mer le plus pauvre après Mayotte. 77 ans plus tard, le désenclavement des communes de l’intérieur est toujours à l’agenda politique. 77 ans plus tard, 90% du territoire appartient encore à l’Etat. Les défis auxquels la Guyane doit faire face sont de nature structurelle. Elle ne pourra les relever ni facilement ni rapidement.  Ces défis appellent la mobilisation à long terme des moyens de l’Etat, ainsi que celle des ressources naturelles et humaines du territoire.

Le choc de la colonisation a conduit à la déstructuration de l’ordre social et politique des peuples autochtones. Ceux-ci ont été dépossédés par les Européens de la plus grande partie de leurs terres. Leur culture et leur identité ont été dévalués et niés. Il convient de reconnaître et de réparer les maux du passé et faire mémoire de cette période douloureuse.  Par ailleurs, les flux migratoires massifs des années 70/80 et ceux plus récents des années 2010 ont bouleversé les données démographiques et culturelles de la société guyanaise. Ces flux ont certes été appelés par les besoins en travailleurs des grands chantiers, dont celui du Centre spatial Guyanais. Mais ils ont entraîné une recomposition significative de la population guyanaise, dont le multiculturalisme et le multilinguisme constituent des données sociétales essentielles. Plus que jamais, il est nécessaire de travailler à la construction ou à l’approfondissement d’une identité guyanaise qui repose sur la connaissance de l’histoire. Non seulement de celle de la France, mais également de celle des peuples autochtones, comme de celle de la colonisation, ainsi que de celle des flux migratoires récents.

Aujourd’hui comme hier, la relation de la Guyane avec la métropole se caractérise par l’uniformisation et l’unilatéralisme. Il est évident que l’action de l’Etat en Guyane est inadaptée et doit être transformée. A l’heure où le président de la République se dit prêt à inscrire des évolutions dans son projet de réforme constitutionnelle, le temps est venu d’initier une dynamique nouvelle fondée sur le partage des responsabilités et la recherche du consensus et du dialogue avec l’Etat.

C’est pourquoi la Guyane a décidé d’explorer une autre voie que l’assimilation à l’œuvre depuis 1946. L’inscription de la Guyane dans la Constitution en tant que collectivité autonome à statut particulier, est le moyen choisi par le Congrès des élus, le 26 mars 2022. Ce statut d’autonomie, tel qu’il est pensé par les élus, ne signifie nullement la sortie de la Guyane de la République française, mais son insertion dans la Constitution pour tenir compte de ses singularités au sein de l’ensemble géographique sud-Américain. La mise en œuvre de ce statut d’autonomie suppose une révision constitutionnelle et l’adoption d’une loi organique définissant le statut de la Guyane. Pour réussir, cette démarche doit s’inscrire dans une logique de co-construction avec l’Etat , formalisée par  un projet d’Accord sur l’avenir institutionnel de la Guyane reconnaissant à la nouvelle collectivité , le droit d’adopter ses propres règles dans quelques matières déterminantes pour le développement local, selon les valeurs et les principes suivants : la solidarité pour construire ensemble une communauté d’avenir partagée  , l’égalité pour assurer l’égalité des droits et des chances pour tous les enfants du pays , la dignité pour assurer les besoins vitaux de la personne humaine . L’altérité pour fonder le lien social et l’être-en commun. La progressivité des compétences pour accompagner l’autonomie de la Guyane.

Aujourd’hui, il est temps de nous projeter résolument vers un nouvel horizon : Dans cette perspective le choix d’un cadre politique innovant est la condition sine qua non pour améliorer la gouvernance locale et répondre aux préoccupations quotidiennes des guyanais.

Cet avenir commun partagé prend forme dans le document d’orientations ci-dessous.

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :